Une cargaison de déchets partie d’Albanie pour la Thaïlande se retrouve au cœur d’une polémique internationale. Soupçonnée de contenir des matières toxiques, elle erre désormais entre l’Europe et l’Asie, refusée par plusieurs pays. Cette affaire met en lumière les zones d’ombre du commerce mondial des déchets et ses potentiels dangers pour l’environnement.
Le départ d’une cargaison suspecte
En juillet 2024, le port albanais de Dürres voit partir 102 conteneurs à destination de la Thaïlande. La société Sokolaj, à l’origine de cette expédition, affirme qu’il s’agit de simples déchets industriels destinés au recyclage. Les documents douaniers mentionnent de l’oxyde de fer, une matière dont l’exportation est autorisée.
Cependant, dès le début du voyage, des soupçons émergent sur la nature réelle du chargement. Une ONG spécialisée, le Basel Action Network (BAN), alerte les autorités : ces conteneurs pourraient renfermer des déchets hautement toxiques.
Un commerce mondial sous surveillance
Cette affaire s’inscrit dans un contexte plus large du commerce international des déchets :
- Le marché global des déchets représente entre 44 et 70 milliards d’euros par an
- La partie illégale de ce commerce est estimée entre 9 et 11 milliards d’euros annuels
- La production mondiale de déchets devrait atteindre 3,4 milliards de tonnes d’ici 2050
La convention de Bâle, signée en 1989, tente de réguler ce commerce, notamment en interdisant aux pays de l’OCDE d’envoyer leurs déchets dans des pays non-membres. L’Albanie, n’étant pas membre de l’OCDE, se trouve dans une zone grise réglementaire.
Le mystère des poussières toxiques
Les soupçons se portent sur la présence de poussières de four à arc électrique (EAFD) dans les conteneurs. Ces résidus industriels contiennent un cocktail dangereux de métaux lourds :
- Zinc
- Plomb
- Cadmium
Leur stockage nécessite des précautions drastiques. Le commerce de ces poussières représente à lui seul un marché annuel de 1,4 milliard d’euros.
Un périple semé d’embûches
Le voyage des conteneurs devient rapidement chaotique :
Trieste (Italie) : les conteneurs sont chargés sur deux navires de la compagnie Maersk
Côtes africaines : l’ONG BAN alerte Maersk sur la possible toxicité du chargement
Afrique du Sud : les navires coupent leurs transpondeurs, rendant leur localisation impossible
Thaïlande : le pays refuse l’entrée des conteneurs sur son territoire
Singapour : Maersk transfère la responsabilité du chargement à MSC pour un retour en Albanie
Un imbroglio diplomatique et juridique
L’affaire prend une dimension politique et judiciaire :
Le Premier ministre albanais Edi Rama refuse catégoriquement le retour des conteneurs, dénonçant des « soupçons malveillants »
Le parquet de Dürres ouvre une enquête pour « contrebande de marchandises interdites » et « abus de pouvoir »
L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) se joint à l’enquête
Les enjeux d’une responsabilité partagée
Cette affaire soulève des questions cruciales sur la gestion des déchets dangereux :
Traçabilité : comment s’assurer de la nature réelle des cargaisons ?
Responsabilité : qui doit prendre en charge ces déchets refusés ?
Réglementation : comment renforcer les contrôles sans entraver le commerce légitime ?
La résolution de ce cas pourrait avoir des répercussions importantes sur les pratiques du secteur et la coopération internationale en matière de gestion des déchets dangereux.
Cette odyssée des déchets albanais met en lumière les défis complexes liés au commerce international des déchets. Elle souligne l’urgence d’une meilleure régulation et d’une plus grande transparence dans ce secteur aux enjeux environnementaux et sanitaires majeurs.